La chlordécone empoisonne durablement la société antillaise


Durant 20 ans, les planteurs de Martinique et de Guadeloupe ont déversé plus de 300 tonnes de Chlordécone dans les bananeraies pour lutter contre le charançon.  Particulièrement persistant, ce produit chimique contamine encore les sols antillais, paralyse  le développement de la pêche et des productions agricoles locales.


Son impact potentiel sur la santé était connu des autorités depuis les années 1970. La chlordécone a pourtant été utilisée jusqu’en 1993 dans les bananeraies des Antilles françaises. Et son héritage toxique vient aggraver la situation de populations déjà confrontées à la précarité et à un état de santé plus fragile que dans l’héxagone.  

L’Inserm a établi un “lien de causalité probable” entre le pesticide et un taux d’incidence du cancer de la prostate, dont la Martinique détient le triste record mondial. Des études sont en cours sur un lien possible avec d’autres types de cancers. L’exposition à la chlordécone est également associée à des cas plus fréquents de naissances prématurées et de problèmes de développement de l’enfant.

Les premiers examens réalisés en 2013-2014 ont permis de détecter des traces du pesticide chez 90% des adultes antillais. Pour 25% des adultes martiniquais et 14% des guadeloupéens, la concentration de chlordécone dans le sang dépasse le seuil de dangerosité fixé par l’Anses (0,4 microgrammes par litre). 

Pêche, élevage et cultures

Les risques de contamination par des aliments issus des circuits légaux sont aujourd’hui limités. Ce qui n’est pas toujours le cas des produits échangés sur les circuits informels, ni des jardins ou des petits élevages des particuliers. La chlordécone se retrouve en effet dans les légumes racines et peut être ingérée par des bovins, des poules ou des porcs.

Une partie des pesticides lessivés par les pluies se déverse dans la mer, contaminant les réserves halieutiques du proche littoral. Une partie des côtes antillaises est toujours interdite à la pêche, paralysant à la fois le développement de ce secteur économique et limitant les sources alimentaires locales.

Même si une page s’est tournée avec le non-lieu prononcé par la justice en janvier 2023, ce scandale sanitaire reste l’objet de tensions entre, d’une part, la population et, d’autre part, les services de l’Etat qui étaient informés du risque encouru par les habitants et les employés des bananeraies, mais aussi des organisations professionnelles de planteurs qui avaient réclamé des dérogations pour utiliser ce produit toxique. 

Protéger les populations

De récentes études sont plus optimistes sur le rythme de dégradation naturelles des résidus de pesticides. D’ici la fin du siècle, les traces de chloredécone dans les sols en surface pourraient passer sous les seuils de détection. Mais les nappes phréatiques resteraient contaminées pour plusieurs décenies supplémentaires. 

La prévention est désormais le principal levier face à ce problème de santé publique. Mais les conseils de prudence sont encore insuffisamment intégrés par les populations les plus  fragiles qui dépendent de leurs jardins et de leurs volailles pour leur alimentation. La cartographie des sols pollués reste d’ailleurs incomplète et les agriculteurs qui produisent des aliments ne sont pas tenus de faire analyser leurs sols. Et face au manque d’entretien du réseau d’alimentation en eau potable (lire par ailleurs…), les habitants de Basse-Terre se tournent parfois vers les sources naturelles d’une eau qui a pu traverser des sols pollués au chlordécone. 

Résultats des analyses de sols de Martinique et de Guadeloupe. Les zones en orange et rouge présentent les plus fortes concentrations en chlordécone (cartes réalisées par DAAF Guadeloupe et DEAL Martinique)

Source : 

Catherine PROCACCIA,L’impact de l’utilisation de la chlordécone aux Antilles françaises, Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, février 2023

Gouvernement, Plan stratégique de lutte contre la pollution par la chlordécone 2021-2027, mars 2022).

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